On achève bien les pauvres. Système de santé suisse, libéralisme et inégalités de classe

« Dormir assez, bouger régulièrement, rire, entretenir ses amitiés ». Avec ces injonctions à une vie saine et heureuse, les campagnes publicitaires des assurances maladie de ces dernières années semblent s’être transformées en opération de développement personnel à destination des assurés. Ceux-ci sont priés d’y mettre du leur pour garder la forme (et ne pas leur coûter trop cher): la santé serait un capital individuel qu’on entretient, une responsabilité personnelle. Comme si se maintenir en bonne santé était un choix accessible à tou.te.s, qu’il suffisait d’un peu de bonne volonté et de quelques exercices de respirations.

A l’inverse de cette propagande niaise et hypocrite, malgré une médecine « de pointe » réputée pour sa performance, la Suisse est loin d’être un pays où l’accès à la santé est aisé et abordable. Contrairement à de nombreux pays qui optent pour un système de santé sur le modèle du service public, la Suisse possède un système de santé très libéral dont le financement repose en grande partie directement sur la population elle-même. Malgré les centaines de francs que nous investissons chaque mois dans l’assurance maladie, nous soigner convenablement semble de plus en plus hors de portée. Entre le coût des soins et les risques plus élevés de souffrir de maladies chez les personnes plus défavorisées, la santé est un domaine où les inégalités de classe sont particulièrement exacerbées.

Inégalités de santé et classes sociales

Car pendant qu’elles se targuent d’oeuvrer pour le bien commun en nous conseillant de mieux dormir, les assurances maladies et leur système de remboursement entravent l’accès le plus basique aux soins. Un assuré contraint d’opter pour la franchise la plus haute y réfléchira à deux fois avant de consulter, sachant que les soins sont chers et qu’il devra payer de sa poche. Ainsi, les statistiques du renoncement aux soins en Suisse sont vertigineuses: certaines études estiment que jusqu’à 20% de la population renonce à des médicaments ou des consultations médicales jugées nécessaires par manque de moyens financiers. Ce chiffre monte à 28% concernant les soins dentaires, qui ne sont pas remboursés par l’assurance de base.

Les primes d’assurance maladie ont augmenté de 159% en 20 ans. En 1999 la franchise maximum était de 1500chf; aujourd’hui, un tiers des assurés opte pour la franchise actuelle la plus haute à 2500chf. Concrètement, les personnes les plus pauvres paient de plus en plus cher leurs primes d’assurance tout en sachant que celles-ci seront parfaitement inutiles quand il s’agira de rembourser leurs soins les plus basiques. Comment fait-on lorsque beaucoup d’entre nous ne peuvent simplement pas se permettre de tomber malade? Le système de santé suisse laisse pour compte les franges les plus pauvres de sa population, non sans extorquer des sommes faramineuses de leurs poches tous les mois.

Au-delà du coût des soins et de l’assurance maladie et des inégalités qu’ils engendrent, nous ne sommes pas non plus tous égaux face au risque de problèmes de santé. Les statistiques qui comparent niveau de revenu et problèmes de santé sont claires: notre appartenance à une classe sociale a une influence sur notre niveau de santé et les problèmes de santé auxquels nous risquons d’être confrontés dans notre vie.

Pour exemple, d’après les statistiques de l’Office Fédéral de la Santé Publique, les classes les plus pauvres ont beaucoup plus de chances d’être touchées par l’hypertension, le diabète, le cholestérol, les douleurs au dos, l’arthrose, les douleurs aux articulations, etc. Les personnes les plus défavorisées sont beaucoup plus à risque d’être inactives physiquement, en surpoids, fumeuses, et d’avoir une alimentation moins saine. De même, si la longévité augmente et que les personnes âgées vivent plus longtemps, ces années supplémentaires correspondent plus souvent à des années de maladie pour les pauvres, alors que les plus favorisés passent leur fin de vie en meilleure santé. Même constat en ce qui concerne la santé mentale: les personnes avec un statut social bas sont deux à trois fois plus à risque d’être en détresse psychologique que les personnes avec un statut social élevé.1

Cela montre que notre santé n’est pas qu’un choix individuel et dépend en grande partie de nos conditions matérielles d’existence: il est plus difficile pour un ouvrier qui se casse le dos au travail 42h par semaine d’aller faire du yoga pour se détendre les lombaires, ou pour une mère célibataire avec 3 enfants à charge de « mieux dormir », d’être moins stressée ou de manger moins de repas surgelés. Les statistiques le montrent, un mode de vie sain n’est souvent pas un choix mais un luxe. Nos conditions de travail, de logement, le temps libre que nous avons à disposition, nos moyens financiers impactent directement notre santé. En définitive, celles et ceux qui sont le plus exposé.e.s à des soucis de santé sont aussi celles et ceux qui ont le plus de peine à se payer les soins nécessaires pour y faire face.

Ce mythe du « choix individuel » n’est là que pour éclipser le fait que la santé est un fait social, que sa responsabilité est collective et que c’est à nos politiques et au système de santé que de garantir l’accès à de bonnes conditions d’existences et à des soins abordables.

Le business lucratif de la santé en Suisse

La santé en Suisse est un secteur de l’économie libérale comme un autre. Son objectif premier est le profit, et non la santé de la population. Bien que l’assurance maladie soit en partie réglementée (par exemple par l’interdiction de faire du profit sur l’assurance de base, contrairement aux complémentaires) et que les cantons participent financièrement à certains coûts (par exemple les hospitalisations), le secteur de la santé reste globalement livré aux aléas des lois du marché, répondant au modèle de l’offre et de la demande, soumis à la nécessité d’engraisser les actionnaires et certains cadres et professionnels haut placés.

Par exemple, la Suisse est à la pointe de l’industrie pharmaceutique. Grâce au système des brevets qui leur garantissent un monopole, les grandes entreprises pharmaceutiques engrangent des milliards de bénéfice sur les médicaments qu’elles développent et sont les seules à pouvoir produire et commercialiser sur une durée de 20 ans. Elles peuvent à leur guise vendre leurs traitements au prix fort, et c’est aux assuré.e.s, via leurs primes, de passer à la caisse pour financer ces coûts et engraisser les actionnaires.

Tant que les pharmas, la recherche, et tous les acteurs de l’industrie de la santé seront orientés vers un objectif de profit et de rentabilité, toute tentative de freiner les coûts de l’assurance de base seront infructueuses. Tant que les assureurs auront la possibilité d’engranger du profit sur les complémentaires, ils tenteront de limiter les soins remboursés par l’assurance de base. Tant que des écarts salariaux absurdes existeront dans la profession médicale, certains soins seront surfacturés et d’autres complètement dévalorisés. La population restera la vache à lait d’un secteur extrêmement rentable, payant pour des services de soin comme s’il s’agissait d’un bien de consommation comme un autre, voire d’un produit de luxe.

Les caisses d’assurance maladie sont parmi les grandes gagnantes du système sanitaire suisse. Alors que de la population renonce de plus en plus aux soins faute de moyens, la rémunération des dirigeants de ces dernières a explosé. Chez Sanitas, le directeur Andreas Schönenberger touchait 660 000 francs par an en 2016, un montant déjà obscène. Depuis, sa rémunération a grimpé à un million en 2023. Même mécanisme du côté du Groupe Mutuel, où le salaire du PDG Thomas Boyer a grimpé de 50% entre 2016 et 2023, atteignant 780 000 francs par année. Les directions gagnent toujours plus en remboursant toujours moins, s’enrichissant de fait sur la précarité sanitaire de la population. Mais pour parvenir à un niveau aussi élevé d’extorsion, ils ont besoin de soutien. Au parlement, nombreux sont les élus obéissant au doigt et à l’oeil aux caisses maladie. La gauche sociale-démocrate parle de lobbyisme, alors qu’il s’agit d’un mécanisme naturel: il est dans la nature de la démocratie bourgeoise de fonctionner comme outil de légitimation des intérêts capitalistes. Ainsi, de nombreuses initiatives visant à rendre plus social le système d’assurance maladie sont systématiquement contrées par la majorité de droite.

La classe politique suisse et les assureurs font tout pour cantonner le débat sur la question de l’augmentation des coûts de la santé, une manière habile d’esquiver un débat sur la mainmise bourgeoise sur ce système. Car l’autre vraie question n’est pas de savoir combien coûte de soigner la population, mais qui paie pour cela.

D’autres modèles de santé existent

Malgré ce que nous répètent les politiques et leurs gourous (assureurs maladie, milieux économiques, actionnaires, etc.), il existe des solutions à cette crise de la santé que nous subissons. Mais celles-ci nécessitent une remise en question profonde de notre modèle de financement et par conséquent de la logique économique sur laquelle s’est bâtie la Suisse. Difficile pour les dominants d’envisager qu’un autre monde est possible, lorsque cela entraînerait la fin du leur.

Plusieurs pays montrent l’exemple avec des modèles de soin plus justes. A quelques milliers de kilomètres de chez nous, la Roumanie a fait de la santé une priorité sociale. Cela signifie que le bien être de la population est considéré comme une thématique autant politique que médicale. Dans la constitution roumaine, il est rappelé que l’Etat a le devoir de fournir des prestations médicales à l’ensemble de la population. Ce système allant à l’encontre des modèles professés par l’Europe libérale est un héritage direct de l’URSS, où les coûts de la santé étaient entièrement pris en charge par l’Etat.

En Roumanie, de la médecine de premier recours aux soins ambulatoires en passant par les campagnes de dépistage, tout est pris en charge par les pouvoirs publics. Ce modèle protège les habitant.e.s de la prédation des privés. Proposer d’introduire un tel système en Suisse ferait bondir bon nombre de décideurs, qui ne manqueraient pas de déclencher une panique rouge. Le modèle roumain résulte pourtant d’une vision sociale-démocrate, qui ne met pas en danger la pensée libérale dominant en Europe. C’est d’ailleurs une limite importante à l’efficacité de ce système: en tolérant l’implantation des cliniques privées ou la concurrence des pays plus développés, une médecine à deux vitesses se crée de fait. La médecine d’inspiration socialiste ne peut prospérer que dans un modèle n’admettant aucun compromis avec le capitalisme.

C’est en partie ce que tente de maintenir Cuba, îlot socialiste au milieu d’une mer d’Etats américains ultralibéraux. Depuis la révolution cubaine de 1959, ce pays a réussi l’exploit d’avoir un meilleur système de santé que de nombreux pays occidentaux tout en subissant un blocus économique orchestré par les Etats-Unis et destiné à faire s’effondrer le régime socialiste de l’île.

Le système cubain repose sur un mélange de médecine de proximité décentralisée et une forte souveraineté scientifique. Grâce à des soins entièrement financés par l’Etat et une politique de prévention proactive, le pays avait en 2016 l’espérance de vie la plus élevée de toute l’Amérique latine (77 ans). L’île compte environ un médecin pour 147 habitants (1 docteur pour 1250 habitants en Suisse). De plus, Cuba dispose d’une forte industrie pharmaceutique. Les entreprises de fabrication de médicaments étant détenues par l’Etat, ce dernier conserve une souveraineté totale sur sa production. La spéculation sur le prix de certains médicaments y est totalement inconnue. C’est aussi un des premiers pays à avoir développé un vaccin lors de la pandémie de Covid-19.

Malheureusement, ce genre de modèle se fait de plus en plus rare. En France, la création de la sécurité sociale en 1945 (offrant aux cotisant.e.s une assurance maladie publique) fut une véritable révolution. Obtenu de haute lutte par les syndicats lors de l’entre-deux guerres, ce système consacrait à l’origine une gestion totale des cotisations par les ouvriers eux mêmes. A terme, l’entièreté de la population française devait être assujettie au même régime. Durant la guerre froide, ce fut un des systèmes s’approchant le plus du socialisme au sein du bloc capitaliste. La contre-offensive bourgeoise des années 80 a peu à peu démantelé ce mécanisme de solidarité. Il est aujourd’hui présenté comme un reliquat du passé, rappelant selon la bourgeoisie l’inefficacité de ce type de système. Ce sont pourtant les multiples attaques néolibérales qui ont petit à petit érodé sa capacité de redistribution.

En guise de conclusion

La santé nous est vendue à prix fort comme une marchandise soumise aux lois du marché​​​​​​​, comme un investissement accessible aux classes les plus favorisées, alors qu’elle devrait être un droit universel. Faire reposer le coût des soins sur les patient.e.s pour au passage engraisser actionnaires et directions est un exemple flagrant de violence de classe. Seul un système prenant en charge l’intégralité des coûts médicaux par l’Etat permettra aux citoyen.ne.s de ne pas devoir s’exposer à la précarité pour être soignés ou pire, renoncer à des soins. Cela nécessite aussi de collectiviser la recherche et la production de médicaments, et de la mettre au service de la population plutôt que des actionnaires. Cela nécessite surtout un système économique global qui ne soit pas centré sur le profit de quelques-uns au détriment de tous les autres, et qui offre de bonnes conditions de vie à l’ensemble de sa population.

Nous sommes conscient.e.s qu’aucun vrai système de santé socialiste, avec au centre de ses préoccupations la santé effective de la population, ne peut émerger ou se maintenir au sein d’une économie capitaliste. Les différents exemples cités doivent nous rappeler que des alternatives pas si inconcevables existent et qu’une conception économique et libérale de la santé n’est pas une fatalité, mais le résultat politique de la mainmise de la bourgeoisie sur les institutions qui composent le système de santé suisse.

Aux Etats-Unis, pays dont le système sanitaire est pire qu’ici, Luigi Mangione a abattu en pleine rue le CEO d’une assurance santé, et la liesse populaire inattendue provoquée par cet exploit inquiète la classe capitaliste. Si un tel acte individuel ne suffit évidemment pas à renverser l’ordre établi, il a le mérite de s’inscrire radicalement hors de la politique parlementaire bourgeoise contrôlée par les lobbies, et de rappeler à tout un chacun que nous avons la capacité d’agir. Il ne s’agit pas, dans l’immédiat, de prendre les armes au sens propre: s’organiser, regrouper nos forces et combattre le capitalisme est un travail collectif de longue haleine, mais nous pensons que c’est le seul moyen d’infléchir la tendance et d’entrevoir la possibilité d’un avenir meilleur, d’une société où tout le monde aurait accès à des soins médicaux et à des conditions de vie dignes.

Ligne Rouge, janvier 2025

1. Toutes ces statistiques proviennent de l’Office Fédéral de la Santé Publique et de l’Office Fédéral de la Statistique, et sont trouvables sur le site internet de la confédération.

Publié dans Classes | Marqué avec | Commentaires fermés sur On achève bien les pauvres. Système de santé suisse, libéralisme et inégalités de classe

Make the rich afraid again !

Stickers

Nouveaux stickers disponibles lors de nos évènements ou auprès de nos membres.

Publié dans Classes, General | Marqué avec | Commentaires fermés sur Make the rich afraid again !

Aujourd’hui comme hier: smash WEF!

Comme chaque année à la même période, sous haute surveillance dans les montagnes grisonnes, se déroule le World Economic Forum, rencontre des différentes puissances économiques et politiques mondiales. L’occasion pour nous de rappeler ce qu’est le WEF, quelle est son histoire et pourquoi il est nécessaire de se mobiliser contre.

Si le World Economic Forum (WEF) se targue aujourd’hui d’être un espace d’échange égalitaire entre les différents Etats de la planète, il est important de rappeler que ses racines sont bel et bien ancrées dans la doctrine impérialiste américaine née de la Guerre Froide. Créé en 1971 par l’économiste libéral Klaus Schwab, le Forum de Davos a pour but premier de réunir les dirigeants de grandes entreprises européennes pour leur enseigner les doctrines de management américaines. Alors que les modèles de l’URSS, de la Yougoslavie et des sociaux-démocrates gagnent en popularité en Occident, il s’agit ainsi de redorer l’image de l’économie libérale en important la vision du « rêve américain ».

Le WEF prend une tournure plus politique suite aux chocs pétroliers des années 70 et à la première guerre entre les Etats arabes et Israël. De plus en plus de dirigeants se voient invités à ce rendez-vous pour sauvegarder les intérêts commerciaux américains. D’une réunion de chefs d’entreprises, il se mue en conglomérat politico-économique cherchant à maintenir un système économique avantageant certains Etats dominants.

Car bien que le Forum de Davos cherche depuis toujours à se vendre comme une grand-messe de philantropes fortunés et de dirigeants éclairés, c’est tout le contraire qui se déroule en coulisses. En 2008, alors que la crise des subprimes met à terre des millions de travailleurs et travailleuses à travers le monde, Bill Gates y tient un discours sur le « creative capitalism », un modèle promouvant un entrepreneuriat capable de dégager du profit tout en résolvant les problèmes de la population. A l’heure où des milliers de manifestants demandent une régulation par l’Etat des institutions bancaires exerçant comme un état dans l’Etat, le WEF se contente de brandir des slogans creux et demande aux patrons de bien vouloir penser aussi au bien commun.

Mais d’autres opérations de communication ont bel et bien réussi à atteindre leur objectif. Comme toute institution défendant le libre échange, le WEF a su s’adapter aux changements sociaux du 21ème siècle. Loin d’être menacé par les mouvements de défense pour le climat, le Forum de Davos a modifié son discours et ses pratiques de façade pour montrer un visage plus vert. L’édition de 2020 a par exemple été placée sous le signe de la « justice climatique », un simulacre leur permettant d’apposer un vernis vert sur la plupart de leurs conférences et tables rondes. Sauf qu’en coulisses, le WEF sert toujours le même objectif: rapprocher les dirigeants des puissances mondiales et les patrons pour s’assurer de leurs intérêts conjoints. Malgré leurs discours, aucun changement dans l’intérêt des travailleurs et travailleuses n’est provenu des couloirs feutrés de Davos.

Aujourd’hui, peu nombreux sont ceux qui croient encore à la nature bienveillante du WEF. Les invités de marque de l’édition 2025 le prouvent. Entre Javier Milei, président argentin et néolibéral forcené vendant son pays au plus offrant, et Donald Trump, le visage d’un forum promouvant un « capitalisme plus humain » appartient au passé. Il faut le considérer pour ce qu’il est: un consortium de potentats, s’arrogeant le droit de décider du destin de l’humanité dans le calme des montagnes grisonnes.

Paradoxalement, la mobilisation contre le WEF a connu un déclin régulier depuis le début des années 2000. Les mouvements altermondialistes du début du millénaire se sont essouflés, et les thématiques qui lui sont liées ne sont plus aussi centrales dans les discours de la gauche. Cette perte de rapport de force est insidieuse, car elle laisse le champ libre aux voix réactionnaires et complotistes accusant le Forum d’être un congrès « mondialiste » et leur permettant de dérouler un discours raciste, antisémite et fascisant.
Si les mobilisations anti-WEF n’ont jamais cessé en Suisse Allemande, cette thématique a été complètement désertée par la gauche Suisse Romande depuis plusieurs années, ce qui est ironique lorsque l’on sait que le siège du WEF se trouve sur la commune genevoise de Cologny.

Mais tout n’est pas perdu. Le succès de la mobilisation du samedi 18 janvier à Berne le prouve. En Suisse, au coeur même de « l’arrière-pays calme du capitalisme », il existe de nombreux mouvements révolutionnaires capables de reconstruire un front solide contre le WEF. A nous désormais de faire comprendre aux dirigeants des Etats impérialistes et aux magnats de l’économie que nous ne serons jamais complaisant.e.s avec leur rendez-vous annuel.

Ligne Rouge, janvier 2025

Publié dans Smash WEF | Marqué avec | Commentaires fermés sur Aujourd’hui comme hier: smash WEF!

La Suisse, coeur de la machine capitaliste

Notre organisation est une organisation révolutionnaire et communiste. Ce positionnement fait de Ligne Rouge une organisation extra-parlementaire qui rejette la collaboration politique telle qu’elle est pratiquée par la plupart des partis politiques et syndicats en Suisse. Ce choix n’est pas un rejet nihiliste sans perspective ni analyse politique ; il est au contraire le fruit de notre analyse des conditions matérielles de production dans notre pays et leurs conséquences concrètes sur les conditions de travail et de vie de ses habitant.e.s.

Aux yeux du monde, la Suisse est un pays riche et sans problème, un îlot d’opulence coupé du monde, dans lequel des positions politiques communistes semblent hors sujet. Cette réputation occulte ainsi une réalité qu’il est difficile d’ignorer : d’une part, la situation de la Suisse dans l’économie globalisée la place au centre de l’impérialisme mondial et de l’exploitation du Sud global. D’autre part, vivre en Suisse, pour toute personne n’étant pas issue des classes bourgeoises, n’est aucunement une existence d’abondance et de sérénité.

Comment la Suisse est-elle alors devenue une puissance impérialiste majeure et pourquoi cette conscience demeure-t-elle souvent méconnue ? En dépit de l’absence de colonisation directe de pays extra-européens sur le plan géopolitique, la Suisse a pourtant largement contribué à la colonisation mondiale et au développement du néo-libéralisme par le biais de ses investissements économiques à l’étranger, de la conservation de fonds issus de l’exploitation coloniale sur des comptes bancaires cachés, de son attractivité pour les multinationales cherchant à établir leurs sièges sociaux ou encore des sommets et think tanks néo-libéraux qu’elle accueille, tels que le World Economic Forum ou la Société du Mont-Pèlerin. Ce faisant, elle a continué à bénéficier de manière significative de cette exploitation coloniale. Même si l’expansion économique suisse à l’étranger n’a pas été soutenue par une force militaire, mais plutôt par des politiques humanitaires et diplomatiques, il demeure indéniable et évident que la Suisse a joué un rôle central dans la perpétuation de l’idéologie raciste, suprémaciste, néo-coloniale et néo-libérale de l’impérialisme. Aujourd’hui encore, une grande part des richesses emmagasinées en Suisse sont directement issues de l’exploitation coloniale du Sud global et du maintien des populations de celui-ci dans la pauvreté. Les conséquences humaines et écologiques sont catastrophiques, mais elles se déroulent loin de nos regards, et ne génèrent par conséquent que peu d’indignation au sein de la population helvétique.

En tant que place financière mondiale et lieu d’établissement de grandes banques et multinationales, la Suisse brasse certes beaucoup d’argent et héberge de nombreuses grandes fortunes. Cependant, cette situation ne « ruisselle » pas sur le reste de la société : en Suisse, en 2021, par exemple, une personne sur sept était exposée au risque de pauvreté. Si les statistiques sur le niveau de vie des Suisses ne diffèrent finalement pas beaucoup des autres pays d’Europe, elles sont pourtant loin de correspondre à l’image de carte postale d’une Suisse d’abondance où il fait toujours bon vivre.

Depuis le milieu des années 90, qui correspondent à une période de forte récession, les conditions économiques et sociales de la population n’ont cessé de se détériorer. La droite libérale a imposé sa ligne politique sans trouver d’opposition suffisante en face. Augmentation du chômage, précarisation des conditions de travail, attaque des services publics, hausse du temps de travail, augmentation de l’âge de la retraite : les acquis sociaux fondent petit à petit comme neige au soleil. Au même moment, les primes d’assurance maladie ont augmenté de 159 % en vingt ans, et les loyers genevois ont doublé de 2002 à 2012. Les salaires peinent à suivre l’inflation, surtout dans les classes défavorisées. En 2016, presque un quart de la population renonçait à des soins médicaux jugés nécessaires par manque de moyens, malgré un système d’assurance-maladie pourtant mondialement réputé exemplaire. Derrière une apparence trompeuse de cohésion sociale, un conflit de classe est bel et bien à l’œuvre. Il est mené par la classe des possédants, contre celle des travailleuses et des travailleurs.

Pourquoi une absence de réponse forte à ces attaques, et plus généralement, une absence de culture de la mobilisation à gauche ? La stabilité politique de la Suisse et l’absence de culture révolutionnaire de ces dernières décennies n’est pas le fruit d’un hypothétique tempérament paisible des Suisses, mais bien le résultat d’un processus politique de longue date solidement ancré dans les mentalités : la Paix du Travail. Signé dans les années 30 en pleine crise économique, cet accord a façonné une tradition de gestion des conflits de classes, qui se reflète jusque dans la structure politique du pays. Il stipule que les syndicats et le patronat doivent négocier ensemble, sans utiliser de moyens de pression trop conflictuels. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une loi, mais d’une clause qui régit une grande majorité des conventions collectives de travail, la paix du travail est devenue une véritable institution en Suisse, empreignant les mentalités depuis presque cent ans. Outre le fait de pacifier les relations capital-travail, cette manière de gérer les conflits a eu des conséquences désastreuses pour les mouvements sociaux : elle a affaibli les moyens traditionnels de pression de la classe travailleuse, tels que la grève, a établi une distance entre la base et les dirigeants syndicaux, a contribué à atténuer l’antagonisme de classe, donc la conscience de classe, et a ainsi majoritairement débouché sur des consensus favorables au patronat.

D’autres facteurs typiquement suisses ont influencé la perception que la classe prolétarienne suisse a d’elle-même et de sa marge de manœuvre : le fédéralisme et les spécificités cantonales ont tendance à entraver toute velléité de mouvement à l’échelle nationale ; les conditions de travail sont régies par des conventions propres à leur secteur et non par des lois fédérales, ce qui rend compliqué d’avoir des positions unitaires au sein de la classe travailleuse. La majorité des syndicats a historiquement un rôle de gestion plus que de lutte, ainsi que le montre l’abandon officiel du terme de « lutte de classe » en 1927 par l’Union Syndicale Suisse. De plus, à chaque votation ou élection, les centres patronaux et autres lobbys libéraux injectent des centaines de milliers de francs dans des campagnes de désinformations et pour soutenir les partis de la bourgeoisie. À cela s’ajoute encore la formule magique de l’intégration, depuis toujours, de la « gauche » au gouvernement qui l’empêche ainsi de développer une posture d’opposition. De petites réformes sociales peuvent avoir lieu, mais toute ambition de changement radical est par définition tué dans l’œuf. Le résultat, dont la bourgeoisie suisse est très fière, c’est la pacification sociale : une pacification sociale qui n’empêche en rien les attaques néolibérales, et qui les facilite même.

Pour résumer, la Suisse n’est pas une exception, mais bel et bien un pays capitaliste et impérialiste au sein duquel une classe bourgeoise exploite les classes travailleuses d’ici et d’ailleurs, et dans lequel une minorité d’ultra-riches dicte les politiques qui lui sont favorables au détriment du reste de la population. Sa singularité est cette tradition de gestion des conflits de classe, et sa structure politique, qui rendent encore plus difficile qu’ailleurs la mobilisation des travailleur.euse.s par la base, la solidarité et l’apparition d’une conscience de classe capable de déboucher sur un mouvement de masse.

Partant de ces constats, il nous semble nécessaire, en tant que communistes, de placer notre pratique politique en dehors des institutions, telles que les partis et syndicats, dans une perspective autant locale qu’internationaliste. Bien que nous ne niions pas l’utilité des syndicats et d’une partie de la gauche dans le maintien de nos acquis sociaux, nous sommes convaincu.e.s qu’aucun réel mouvement radical ne peut en émerger s’il est cloisonné dans des institutions réformistes. Si nous voulons établir un rapport de force, il est nécessaire de sortir de la coopération. S’il est important de lutter pour ne pas laisser nos conditions d’existence empirer, nous sommes convaincu.e.s qu’il est primordial de voir plus large et d’opposer à la bourgeoisie une réponse qui n’est pas uniquement défensive et de réaction. Il nous faut remettre la lutte des classes au centre des discours et travailler à reconstruire des forces et des perspectives révolutionnaires qui, à terme, seront capables de renverser le paradigme consensuel suisse, dont la finalité est d’être toujours favorable à la bourgeoisie.

La route vers un changement radical peut paraître longue et complexe, mais l’apathie et la résignation sont bien plus dangereuses et déraisonnables que l’optimisme révolutionnaire.

 

Publié dans Classes | Commentaires fermés sur La Suisse, coeur de la machine capitaliste

Patriarcat, patronat : même combat !

De par leur développement interdépendant au cours de l’Histoire, le patriarcat et le capitalisme sont inextricablement liés. Bien que l’oppression des femmes ait des origines bien plus lointaines que le système économique que l’on connaît actuellement, ayant traversé les âges avec plus ou moins d’intensité, les premières phases d’accumulation capitaliste ont néanmoins marqué le début d’une période charnière dans l’évolution du patriarcat. Historiquement, c’est en effet aux premiers stades du développement capitaliste que s’est plus profondément marquée la division sexuelle du travail et l’affectation des femmes au travail domestique, les confinant ainsi au travail de reproduction. Cela a permis, d’une part, de profiter du travail gratuit des femmes et, d’autre part, de garantir une reproduction efficace de la main d’œuvre. Il n’est bien sûr pas question ici de présenter les époques antérieures au capitalisme comme un illusoire “âge d’or” qu’il faudrait retrouver, mais bien de lier le féminisme à une perspective historique qui nous permette d’analyser l’origine des structures économiques et sociales dans lesquelles nous vivons aujourd’hui pour mieux les renverser.

C’est grâce au travail gratuit des femmes et à la mise à disposition de leurs corps que le capitalisme a pu connaître un tel essor au début de son développement. La question de la natalité et de la reproduction étant un enjeu important durant les périodes de pénurie de main d’œuvre, le contrôle du corps des femmes est ainsi devenu un outil indispensable à la reproduction de la force de travail, et plus généralement au contrôle de la population. Au fur et à mesure de ce développement, tout un appareil idéologique a alors été déployé pour justifier cette relégation des femmes en une classe exploitable gratuitement. Religion, lois, philosophie et politique toutes ces disciplines se sont unies pour faire apparaitre cette distinction comme « naturelle ». Famille nucléaire et hétérosexualité ont dès lors été imposées comme seul horizon possible et acceptable, et les femmes se sont vues attribuer un rôle à la fois avilissant et profitable aux capitalistes. Lois, discours et culture promouvaient la différenciation des genres et leur enfermement dans un système de normes, tandis qu’un appareil répressif redoutable s’abattait sur celles et ceux qui en déviaient.

C’est ce processus historique, relativement récent au regard de l’Histoire (et grossièrement résumé ici), qui a établi la différenciation des genres que nous connaissons aujourd’hui. Si le patriarcat ne trouve pas sa source originelle dans le capitalisme, ce dernier l’a en revanche profondément entériné dans le fonctionnement économique et social de nos sociétés, comme un outil indispensable au service de son développement. Le système patriarcal que nous subissons aujourd’hui ne peut plus être dissocié du système capitaliste.

S’il apparait qu’aujourd’hui la condition de la femme s’est améliorée, grâce aux mouvements féministes et aux acquis sociaux et droits (tardivement) obtenus, nous constatons également l’assouplissement de la domination masculine, sa mutation en une forme d’oppression moins évidente. En effet, dans le contexte économique européen actuel, il n’est, par exemple, plus question de maintenir à tout prix les femmes dans l’enceinte du foyer, on les encourage au contraire à rejoindre le monde du travail, tout en exigeant d’elles de fournir aussi le travail domestique qui leur est attribué depuis des siècles, et ce toujours gratuitement. Ainsi, bien que leurs formes évoluent, sexisme et patriarcat imprègnent toujours aussi bien nos conditions économiques que notre vie sociale et privée. Inégalités salariales, féminicides, violences sexuelles, dépendance économique, lois contre l’avortement, campagne de réarmement démographique, système de santé inadapté prennent tous racine dans l’idée que les femmes sont inférieures et utilisables. Les LGBTIQ-phobies et plus généralement la haine de tout ce qui s’éloigne ou contredit de la norme hétérosexuelle trouvent également leur origine dans le besoin qu’ont eu les classes dominantes d’imposer la famille nucléaire hétérosexuelle comme base économique de la société.

Si aujourd’hui, sous nos latitudes, la majorité des femmes européennes n’ont plus un rôle de servilité pure, on ne peut cependant pas ignorer que dans un contexte (post-)colonial l’exploitation des femmes s’est massivement déplacée hors d’Europe. Dans le capitalisme mondialisé, le rôle de main d’œuvre dont on peut disposer et gratuite, auparavant rempli par les femmes européennes, s’est vu attribué au Sud global. À l’heure où la culture libérale promeut le girlbossing, ce sont des millions de travailleuses et de travailleurs partout dans le monde qui, par leur travail gratuit ou sous-payé, assurent la reproduction du capitalisme et rendent possible le meilleur niveau de vie et de liberté des occidentales. À l’échelle Suisse, le travail domestique ou de travail de care a été relégué à des femmes migrantes invisibilisées et précarisées. Là où le libéralisme prétend être un vecteur de progrès social et d’égalité, il ne fait en réalité qu’étendre et déplacer son exploitation à d’autres franges de la population mondiale.

Même dans les pays occidentaux, où nos situations peuvent sembler relativement privilégiées et quoique certains de nos droits soient établis, les acquis sociaux obtenus par la lutte des femmes et des personnes LGBTIQ ne sont jamais totalement garantis et sont régulièrement menacés : on les voit reculer partout, à mesure que les crises économiques s’intensifient et que l’extrême-droite gagne du pouvoir. Les fluctuations économiques déterminent toujours en partie la condition des femmes et des minorités de genre, et ce qui est toléré aujourd’hui par la classe dominante ne le sera peut-être plus au détour de la prochaine crispation réactionnaire. La question de l’accès à l’avortement est régulièrement mise sur la table, la droite libérale élève l’âge de notre retraite, les mouvements de droite dure prennent régulièrement pour cible les personnes LGBTIQ, l’idée de réarmement démographique refait surface dans la bouche de la droite libérale, les personnes trans sont la cible d’attaques politiques et médiatiques : les raisons de se mobiliser et de contre-attaquer sont nombreuses et nécessiteront toute notre lucidité et notre endurance. Si l’extrême-droite a toujours été et sera toujours, par son essence réactionnaire, l’ennemi des femmes, il convient de souligner que le libéralisme, parce qu’il prétend à un féminisme capitaliste, est, lui aussi, un ennemi redoutable.

À la lumière de notre analyse historique, notre féminisme se veut alors indissociable de la lutte des classes, et cherche à tenir compte du contexte économique, historique et mondial dans lequel celui-ci prend place. Nous ne connaissons que trop bien la capacité du capitalisme à intégrer sa critique et à s’adapter pour survivre. Nous refusons que les luttes féministes soient récupérées pour être vendues comme une forme de lifestyle inoffensif. Il n’y a aucun potentiel révolutionnaire dans l’empowerment individuel, le féminisme n’est pas une forme de développement personnel inoffensif prisé par les bourgeoises européennes, et ne s’arrête pas à des questions identitaires d’inclusivité. Les rapports de force – et les changements sociaux qui en découlent – se construisent dans la lutte et dans le collectif, et ils doivent être porteurs d’une volonté globale de renversement.

En tant que communistes et féministes, nous prônons une société égalitaire, sans classe, sans état, sans patriarcat. Bien que lutte des classes et lutte contre le patriarcat soient liées, nous sommes conscient.e.s des spécificités de chacune et du fait que – contrairement à ce que certains mouvements marxistes promeuvent – la lutte des classes ne contient pas « par magie » la lutte féministe.

Lutter pour nos conditions de femmes et de personnes LGBTIQ est une nécessité absolue : il ne s’agit pas de diviser les mouvements révolutionnaires, mais de nous redonner, au sein de ceux-ci, notre importance historique et notre place.

Publié dans Féminisme | Commentaires fermés sur Patriarcat, patronat : même combat !

Crise écologique, crise du capital !

Depuis quelques années, les gouvernements occidentaux prétendent se mettre au vert, parlent de transition écologique ou encore de développement durable. Rénovation des bâtiments, timide réduction de l’empreinte de la voiture en ville ou tentative d’encourager les énergies renouvelables, toutes ces mesures n’ont en réalité qu’un objectif : sauver le système capitaliste. Sentant le vent tourner suite aux mobilisations massives de la jeunesse et du peuple, notamment lors des Grèves du Climat, les États occidentaux dans leur grande majorité ont décidé d’élaborer en catastrophe des solutions contre le désastre climatique qui se profile. Ne soyons pas dupes, les solutions imaginées par ces gouvernements sont peu ambitieuses. La réduction de l’empreinte carbone n’en est qu’une méthode. En somme, les chefs d’État du monde entier cherchent à éradiquer les symptômes de la maladie sans s’attaquer au virus qui les provoque. La crise climatique n’est pas un fait exogène qui ne pouvait pas être évité. Elle est l’une des nombreuses conséquences de l’effondrement d’un système capitaliste en phase terminale qui emporte dans sa chute tout ce qui l’entoure. La destruction de notre planète ne saurait être analysée sans considérer les millions de victimes des guerres impérialistes, les évictions de logement, la paupérisation toujours plus criante des classes populaires, ou bien encore l’exode forcé des populations chassées de chez elles par l’exploitation de leurs terres. Le crime profite toujours au même personne : les bourgeois.

Sur le long terme, c’est seulement par la mise en place d’une économie planifiée orientée vers les besoins de toute la société et en considérant notre impact écologique collectif que nous pourrons construire un avenir. Tant que les moyens de production seront aux mains de la bourgeoisie capitaliste, aucune perspective d’avenir n’est possible. Pour la bourgeoisie, seule l’accumulation croissante du capital compte ; dans son appétit insatiable de profit, la bourgeoisie sacrifie les solutions justes et efficaces pour toutes et tous. En 2019, le 1% a pollué plus que les  66% les plus pauvres de la population mondiale, soit plus de cinq milliards de personnes.

Dans son dernier rapport, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) attribue explicitement la responsabilité du réchauffement climatique à l’activité humaine, donc au mode de production libéral. Si des changements drastiques ne sont pas faits rapidement, le réchauffement du climat s’aggravera et les conséquences seront globales et destructrices. Les premières populations touchées, qui pour certaines le sont déjà, seront celles de l’hémisphère sud qui pourtant sont celles qui produisent le moins de pollution. Élévation du niveau de la mer, disparitions d’espèces, dérèglement des écosystèmes, sécheresses, amoindrissement de la production alimentaire, approfondissement des injustices sociales, déplacements massifs de population, toutes ces répercussions sont annoncées noir sur blanc. Les rapports publiés par le GIEC montrent que notre société capitaliste va droit dans le mur. Ce groupe tire la sonnette d’alarme depuis plusieurs décennies. Cependant, ceux qui ont lancé sa création, les pays du G7, font la sourde oreille et préfèrent protéger la croissance économique.

La lutte écologique est souvent difficile à appréhender pour bon nombre d’entre nous, car elle semble abstraite ou individualisante. En effet, trop fréquemment, elle est réduite à une question de responsabilité individuelle, de choix de consommation qui devrait être « plus vert », de recyclage ou de diminution de consommation personnelle d’électricité ou de carburant. Pire encore, ces arguments sont continuellement utilisés par une partie de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie afin de s’attaquer aux classes populaires, rendues responsables d’une crise climatique dont elles sont pourtant les premières victimes. Ces dernières qui se battent déjà pour boucler leurs fins de mois, se voient matraquer des injonctions à consommer bio ou à acheter un vélo électrique pour aller au travail.

Le mythe du choix responsable ou vert, à l’échelle individuelle, que défend une partie de la gauche repose sur une analyse erronée du capitalisme. Les possibilités d’influencer et de changer radicalement le système ne sont pas du côté de la consommation, mais bien de la production. Les choix de consommation entretiennent une illusion qui permet aux petit-bourgeois d’apaiser leur conscience en achetant leurs légumes dans la ferme proche de leur écoquartier. Produits bio, vélos électriques, panneaux solaires et tous les autres produits dits « écologiques » sont avant tout de nouvelles ouvertures de marché pour le capitalisme.

Remettre en question et repenser notre mode de vie tant au niveau collectif qu’individuel est une évidence, mais la vision individualisante de l’écologie libérale est une voie sans issue. Pour prendre un exemple local, à elles seules, les cinq entreprises suisses Holcim, Lonza, Jura Materials, Vigier Ciment et Varo émettent autant de CO2 annuellement que les populations des cantons de Fribourg, du Valais et du Jura réunies. De plus, toutes les diminutions récentes de l’empreinte écologique sur le territoire helvétique se sont vues annulées par l’augmentation des émissions suisses à l’étranger, et ce, principalement dans les pays du Sud.

Aujourd’hui, c’est par l’action politique, le blocage, le sabotage, la grève et tout en gardant comme but final la réappropriation des moyens de production, que nous pouvons sérieusement influencer sur notre empreinte écologique. En s’attaquant aux multinationales de l’agro-alimentaire, aux géants du pétrole, aux grandes enseignes de la distribution, aux entreprises gérant la logistique du capitalisme ou aux banques qui les financent, nous enrayons la production capitaliste, et donc la destruction de l’environnement.

En Suisse, nous avons le privilège de ne pas encore subir toutes les conséquences du changement climatique. Si certains symptômes, tels que la fonte des glaciers, les crues exceptionnelles ou les sécheresses, sont, en effet, perceptibles en Europe, l’hémisphère sud est cependant la région qui paie le prix fort. Cette distance qui nous sépare des conséquences directes du réchauffement climatique participe au sentiment d’impuissance qui touche les européens.  La déforestation, la fonte de la banquise, ou bien encore la montée des eaux apparaissent comme des problèmes lointains. Or, considérer que nous ne sommes pas au centre de la crise climatique est une erreur. Certes, il est difficile de se tenir au côté de celles et ceux qui s’interposent physiquement entre les tronçonneuses et la forêt primaire, mais notre rôle en tant que militants résidant dans l’œil du cyclone capitaliste est autre. Autour de nous, à chaque coin de rue se trouvent les sièges sociaux, directions générales et bureaux logistiques des entreprises ordonnant la destruction de la biosphère.

En plus de contribuer activement au réchauffement de la planète à travers leurs émissions de gaz à effet de serre, les entreprises implantées à Genève et en Suisse romande jouent un rôle clé dans le trading de matières premières, l’extraction de ressources et la logistique du commerce international. Ainsi, plus de 50 % des céréales, 40 % du sucre et 30 % du café et du cacao négociés dans le monde le sont par des sociétés helvétiques ou établies sur notre territoire. 

Tout en ayant pignon sur rue, certaines de ces sociétés comme Cargill font partie des responsables de la déforestation intensive ayant cours en Amazonie. La destruction du Sud de la planète commence au coin de nos rues. Alors que nos camarades s’attaquent aux bras des multinationales partout dans le monde, il est de notre devoir de les frapper directement au cœur. Ces entreprises planifient, échangent, s’enrichissent et détruisent impunément depuis nos villes, depuis nos quartiers ! 

Il est temps d’affronter le capitalisme là où il se sent intouchable, car il ne peut pas y avoir de paix sans justice et il ne peut pas y avoir d’écologie sans lutte des classes !

Publié dans Ecologie | Commentaires fermés sur Crise écologique, crise du capital !

A venir

Publié dans Evénements, Smash WEF | Commentaires fermés sur A venir